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Jean-Yves Le Gall : « Il faut que le spatial apporte plus à la Guyane »
France-Guyane 12.01.2018
Propos recueillis par Guillaume REUGEJean-Yves Le Gall est, depuis 2013, le président du Cnes après avoir été celui d'Arianespace. Âgé de 58 ans, il est ingénieur et scientifique de formation (GR)
Le président du Centre national d'études spatiales (Cnes), Jean-Yves Le Gall, en visite express chez nous, s'est plié hier au jeu des questions-réponses. Il dresse le bilan d'une année 2017 mouvementée.
Quel est votre regard sur l'année écoulée,
marquée par le mouvement social guyanais de mars-avril ?
L'activité a été arrêtée au plus fort de la
contestation. Des lancers ont été reportés, mais nous avons pu
ensuite rattraper le temps perdu. L'impact économique est
minime.
Quelles conséquences tirez-vous du
mouvement social où le spatial n'a pas été épargné par les
critiques ?
Il faut repenser le positionnement du
spatial dans la Guyane, c'est ce sur quoi nous sommes en train de
travailler. Il n'est pas question d'être moins dépendant de la
Guyane, le Centre spatial guyanais (CSG) est probablement
l'activité principale du programme spatial européen. Mais il faut
arriver à ce que le spatial apporte plus à la Guyane. Un plan
d'action allant dans ce sens va être mis en place en 2018.
Ce plan suit le rapport du gouvernement,
datant du 11 décembre 2017, préconisant d'aller plus loin dans les
actions en faveur de la population guyanaise et demandant une plus
grande lisibilité du secteur spatial ainsi qu'une contribution
moins fragmentée...
Une réflexion a été conduite suite aux
événements de mars et avril pour amplifier le soutien aux activités
guyanaises. Nous allons augmenter les budgets que nous consacrons à
la Guyane dans l'enseignement et l'insertion des jeunes (dix
millions d'euros supplémentaires à l'horizon 2020, ndlr). Un
chantier pour une meilleure communication du spatial est également
en cours. C'est extrêmement important que les gens comprennent
mieux ce que nous faisons car nous avons vu au printemps dernier
qu'il y avait une certaine part d'incompréhension. Or je crois que
personne en Guyane n'est opposé au spatial. Tout le monde a bien
compris qu'il apporte beaucoup. Il faut en revanche mieux expliquer
son action et faire en sorte que les Guyanais se l'approprient
davantage. Il faut digérer ce rapport et le mettre en application
en 2018. C'est un axe prioritaire pour le Cnes. Nous ferons des
propositions au gouvernement et un point d'étape à la mi-année. Il
est encore trop tôt pour évoquer des exemples concrets.
Où en est le chantier Ariane 6 ?
Le chantier avance bien et je pense
qu'Ariane 6 est un exemple de la nouvelle stratégie du Cnes
d'impliquer plus d'entreprises guyanaises. Nous avons mis en place
un bureau spécifique pour que les entreprises locales puissent
répondre aux appels d'offres. L'insertion des jeunes en difficulté
est également au centre de nos préoccupations. Une centaine d'entre
eux travaille en permanence sur le chantier d'Ariane 6.
Vous rentrez de Chine. Où en est la
coopération spatiale avec Pékin ?
J'étais avant-hier avec le président Macron
en Chine où nous avons signé un accord de coopération. Deux
satellites sont en construction avec les Chinois, dont CFOsat,
dédié à l'observation. Il sera lancé de Kourou au deuxième semestre
2018. Ce partenariat se développe et c'est bien normal, la Chine
est un des plus grands pays du monde. Nous ne pouvons pas ne pas
coopérer avec la Chine, en particulier dans le domaine
climatique.
Que peut apporter le spatial à
l'environnement ?
Il y a un mouvement mondial de
préoccupation sur l'environnement. Nous sommes en train de
coordonner à l'échelle de la planète ce qui peut être fait au
niveau satellitaire pour le changement climatique. Le CFOsat, par
exemple, va pouvoir observer les vagues et le vent et fournir des
données très importantes pour l'océanographie.
L'américain SpaceX a effectué 18 tirs de
fusées en 2017 contre 11 pour Arianespace, la concurrence est rude
?
SpaceX, créé il y a quatre ans, est en
train de monter en puissance, c'est indéniable. Mais son concurrent
est surtout l'entreprise américaine United Launch Alliance. Avec
notre gamme de lanceurs, nous avons de bons arguments pour lutter :
Ariane 6, le développement des fusées réutilisables...
Quid des commandes institutionnelles, plus
importantes chez vos concurrents ?
Ce n'est pas un sujet en Europe : 99% des
satellites européens sont lancés par nous. La vraie question
concerne le nombre de satellites et nous avons moins de satellites
institutionnels à lancer en Europe qu'aux États-Unis, en Chine, en
Russie. La NASA a un budget de 18 milliards de dollars et l'ESA
(agence spatiale européenne) de 5 milliards d'euros. C'est ça la
différence. Nous ne pouvons pas faire les mêmes choses.
Les Russes développent leur propre pas de
tir. Quand est-il de l'avenir de Soyouz à moyen terme en Guyane
?
Pour les quatre-cinq prochaines années,
nous avons toujours des missions de prévu avec les Russes à Kourou.
La situation est assez stable à moyen terme, je ne suis pas
inquiet. Et le pas de tir russe de Vostochny n'est pas encore
opérationnel. Leur deuxième lancement test s'est mal passé.
Quels seront les grands lancements en 2018
?
Deux très importants. D'abord au milieu de
l'année, pour la première phase de déploiement du satellite Galileo
(le GPS eu ropéen, ndlr). Ensuite en octobre-novembre pour
le lancement de la mission Bepicolombo sur Mercure. Menée avec les
Japonais, c'est la première de l'ESA sur cette planète très
difficile d'accès. Il faut neuf années de trajet pour l'atteindre
et c'est une planète très chaude car proche du soleil. Ce projet
exceptionnel de mission planétaire a été lancé il y a 20 ans.