Romain Slitine, maître de conférences à Sciences-Po, co-auteur de l'essai « L'économie qu'on aime » : « L'économie qu'on aime est l'économie de tout le monde »

Romain Slitine, maître de conférences à Sciences-Po, co-auteur de l'essai « L'économie qu'on aime » : « L'économie qu'on aime est l'économie de tout le monde »

Propos recueillis par C.R.-V.

Le cycle de conférences de Matnik Solid se poursuit ce soir avec l'économiste Romain Slitine. Maître de conférences à Sciences-Po, co-auteur de l'essai « L'économie qu'on aime » , il est également co-fondateur d'Odyssem, un collectif au service de l'innovation sociale. Loin de voir la crise comme une fatalité, il préconise de croire au potentiel des hommes et des territoires pour s'en sortir. Ici comme ailleurs.

Votre livre s'intitule « L'économie qu'on aime » . De quoi s'agit-il ?
C'est un peu paradoxal de dire qu'on aime l'économie aujourd'hui, mais c'est bien entendu volontaire. Notre démarche est de présenter de nouvelles solutions face à la crise. Nous prenons à rebours la pensée commune actuelle, qui dit qu'il n'y a qu'une seule bonne voie, presque scientifique, pour réussir économiquement. Cette pensée commune regorge d'idées reçues : pour être performant, on pense qu'il faut délocaliser, jouer sur la masse salariale, intégrer uniquement les personnes performantes dans les entreprises, exacerber la concurrence.
En tant qu'économistes et entrepreneurs, nous avons voulu montrer comment l'économie se vit sur nos territoires, au quotidien. Nous avons mis en lumière des initiatives majeures qui explorent des pratiques nouvelles. Oui, il est possible de relocaliser, de maintenir des personnes fragiles dans l'entreprise, la coopération est plus efficace que la concurrence.
Ces deux visions de l'économie sont-elles compatibles ?
Le débat n'est pas d'opposer ces deux visions. Nous souhaitons proposer un nouveau modèle d'économie. Un exemple est frappant, le groupe Archer, dans la Drôme. Au départ, c'était une association d'aide aux chômeurs. En 2005, le groupe a décidé d'aller au-delà de la simple réinsertion de chômeurs, pour tendre vers la création d'emplois durables et pérennes. Basé à Romans-sur-Isère, qui était la capitale de la chaussure, industrie massivement délocalisée à l'étranger, le groupe Archer a décidé de la faire revenir. Il a lancé une nouvelle marque de chaussures, Made in Romans, pariant sur le savoir-faire du territoire pour produire des chaussures de qualité. Et ça marche!
Comment cet exemple peut-il marcher, alors que les chefs d'entreprise se disent engluer sous des charges de plus en plus lourdes ?
C'est un faux débat. On peut créer des emplois sans attendre la baisse des charges ou le retour de la croissance. L'idée centrale est de croire au potentiel de son territoire pour le révéler, avec bien entendu une volonté forte. En travaillant sur la qualité du produit, avec un bon rapport qualité/prix, il en découle une motivation des acteurs impressionnante.
Le groupe Archer a également mis en pratique un autre axe de réussite : la diversification. Il a 15 pôles d'activités. Il maîtrise ainsi sa chaîne de production.
En délocalisant, les entreprises assurent pourtant profiter de coûts de production impossible à atteindre sur leur territoire...
Le problème des délocalisations, c'est qu'on n'en voit pas les véritables coûts. C'est sûr qu'au prix unitaire, produire à l'autre bout de la planète revient moins cher. Mais quand on intègre les coûts de transport, la qualité, la réactivité, la gestion des stocks, la propriété industrielle, on se rend compte que cela n'est pas si rentable. De plus en plus d'entreprises commencent à en prendre conscience.
Vous affirmez que la coopération est plus efficace que la concurrence. L'équilibre économique ne passe-t-il pas par la concurrence ?
Au contraire! Des travaux récents ont montré que 40% du dynamisme économique d'un territoire étaient dus à la capacité de coopérer des acteurs. Là encore, l'exemple du groupe Archer est intéressant. Il a créé un Pôle territorial de coopération économique, sorte de pôle de compétitivité d'excellence en matière de coopération. L'idée est de réunir les acteurs d'un même territoire (chefs d'entreprise, élus, financeurs, associations, chercheurs...) pour les faire travailler ensemble au quotidien.
Selon Romain Slitine, « on peut créer des emplois sans attendre la baisse des charges ou le retour de la croissance. L'idée centrale est de croire au potentiel de son territoire » .
Selon Romain Slitine, « on peut créer des emplois sans attendre la baisse des charges ou le retour de la croissance. L'idée centrale est de croire au potentiel de son territoire » .
Le tissu économique martiniquais est composé à plus de 80% de petites et moyennes entreprises. Ce contexte permet-il de développer de telles initiatives ?
Tout à fait. Ce contexte n'est pas très éloigné de celui de la métropole. L'économie ne passe que par les hommes. S'ils mettent leur énergie dans cette « économie qu'on aime » , le potentiel est énorme. S'inscrire dans son territoire, c'est une source de motivation pour tous, y compris les élus. Plutôt que de chercher à attirer une grosse multinationale, ils feraient mieux de regarder les pépites de leur territoire pour les développer. L'économie qu'on aime est l'économie de tout le monde et de tous les territoires. La limite, c'est l'économie internationalisée, dans laquelle les entreprises sont dirigées par des financiers. Ce ne sont plus des entrepreneurs. Cette économie va dans le mur car les gens n'y croient plus.
Heureusement, des solutions existent!
- Conférence de Romain Slitine, ce vendredi soir à 18 heures, à l'hôtel Batelière, Schoelcher.

Suivez l'info en temps réel
sur l'appli France-Antilles !

Télécharger