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EN COULISSES - « Donner du plaisir à ceux qui mangent »
France-Guyane 29.03.2018
Marie GUITTONLydia Attica s'active dans la cuisine centrale de Malacarnet. Les repas seront distribués aux écoles dans des caissettes électriques maintenues à 63 degrés (MG)
Comment cuisiner pour des milliers d'enfants ? Que trouve-t-on dans les assiettes des petits Cayennais ? Les menus sont actuellement chamboulés par la grève des services techniques, mais la cantine fonctionne, comme à son habitude.
.Faire griller 665 kg de
poulet. Éplucher 500 kg de dachine... Dans les trois cuisines
centrales de Cayenne (Malacarnet, Agarande et Hermine),
l'organisation est « quasi militaire » pour nourrir des régiments
d'enfants : 4 419 écoliers par jour,.
« Les quantités annuelles ? C'est trop
gros, on ne peut pas compter! » , sourit Lucienne Clet, 59 ans, la
responsable adjointe du service municipal de restauration, qui
parle d'un budget d'1,2 million d'euros.
Le magasin central qui permet de stocker
les denrées est actuellement bloqué par des agents grévistes des
services techniques de la mairie. Mardi, les cuisines Agarande et
Hermine ont failli ne pas pouvoir ouvrir, de la colle ayant été
introduite dans leurs serrures. « On cherche à prendre les enfants
et leurs parents en otage » , souffle Vanessa Izeros, la
responsable de la restauration scolaire. « Mais il faut bien donner
à manger aux enfants! » , indique une cuisinière. Les 44 agents de
ce service sont donc tous sur le pont dès 6h30, et les menus ont
été revus pour parer aux problèmes d'approvisionnement.
Mardi, dans les 33 écoles de la capitale,
la salade de fruits est devenue une simple poire. Les entrées
fraîches ont disparu de la carte.
Le poulet fumé a été remplacé par des
nuggets, enfournés dans un four à vingt niveaux, à Malacarnet. Et
les coquillettes ont été cuisinées, sans leurs petits légumes, dans
la zone de préparation chaude, appelée « le piano » .
« J'AIME L'ORGANISATION »
Tout est réglé comme du papier à musique,
dans cette cuisine centrale. Une pièce pour les crudités, une autre
pour la découpe de la viande... « J'aime l'organisation, la grosse
production, et en même temps la recherche du goût, même si en ce
moment c'est particulier à cause de la grève, confie Lydia Attica,
une cuisinière de 37 ans. Pour les sauces par exemple, on ne se
contente pas d'ouvrir une boîte. On mixe l'ail, l'oignon, les
légumes... » Voilà quatre ans qu'elle travaille à la cuisine
centrale de Malacarnet, avec Esmaylin Barre, 26 ans : « Moi, ce que
j'aime, c'est donner du plaisir à ceux qui mangent » ,
indique-t-il. « Il y a des contrôles, des agréments, beaucoup de
procédures à respecter. On ne peut pas faire ce qu'on veut. Même
acheter trois baguettes au magasin, ce n'est pas autorisé » ,
souligne Vanessa Izeros, qui imagine que cela peut être « frustrant
» . Mais parfois, malgré tout, une petite liberté est prise ici ou
là.
Les échantillons prélevés chaque semaine
montrent de légères variations pour le même plat, que les enfants
remarqueraient aussi, selon une cantinière. Les repas créoles, les
semaines à thème ou les spécialités de fêtes permettent également
aux employés de se faire plaisir aux fourneaux. Fin 2017, c'est eux
qui ont suggéré le jambon de Noël-ananas, le sauté d'agrneau au
miel et le gratin de bananes jaunes.
À table! (Et en silence!)
Driiiiiing! Il est 11h30. Cent enfants
pénètrent dans la cantine de l'école Edmard-Malacarnet... le doigt
sur la bouche. C'est le premier round du service, le second ayant
lieu une heure plus tard, pour 56 écoliers supplémentaires. « Tant
que je n'entends pas le silence, on ne commence pas » , prévient
une cantinière. Chacun s'assoit « correctement » , bien adossé à sa
chaise, les coudes à la bonne place. Les enfants de la première
table se relèvent pour remplir leur plateau, sous l'oeil perçant de
Julie Clet, leur responsable. Et on attend les petits camarades
avant le premier coup de fourchette! « L'objectif, c'est qu'ils
apprennent à vivre en communauté » , explique la
surveillante.
À 57 ans, c'est la doyenne des dames de
service. « Si l'on se réunit à la cantine, c'est pour pouvoir
manger tous ensemble, reprend-t-elle. Des fois, les parents ne font
pas leur travail, alors c'est nous qui leur apprenons à se tenir, à
découper leurs aliments... »
Elle réprimande sèchement au premier
écart. Chaque responsable de table a sa technique. « J'essaie
plutôt de les laisser libres, mais je les change de place ou je
propose une animation pour les calmer si besoin » , raconte
doucement Noémi Santiago, 39 ans.
Aurélie Denis, âgée de 26 ans, sépare de
son côté les filles et les garçons, « pour éviter qu'ils se
chamaillent sans arrêt » . Le dessert peut aussi être confisqué et
rendu à la fin du repas, si l'enfant a été sage. « Je leur apprend
à se tenir à carreaux, à manger proprement... comme au restaurant!
» , sourit-elle, attablée avec des écoliers de 7, 8 ou 10 ans qui
semblent l'apprécier.
Leurs plats préférés sont les nuggets,
les frites ou les nems... La présence à table des cantinières prend
tout son sens les jours d'épinards ou de haricots verts : « Si les
adultes en mangent, c'est que les enfants doivent en manger aussi!
»


Comment sont faits les menus ?
Une fois par semestre, les services
municipaux de Cayenne s'attellent à élaborer, semaine par semaine,
les menus des écoles. « Tout le monde donne son avis, les
cuisiniers, les parents d'élèves... Puis les menus sont validés par
le médecin scolaire et la commission de restauration » , indique
Vanessa Izeros, nutritionniste de formation et responsable du
service de restauration scolaire à la mairie. Les menus comportent
au minimum deux entrées de crudités fraîches, une viande rouge,
deux viandes blanches, un poisson, trois féculents, des légumes
verts, un produit laitier, une pâtisserie ou compote, et un fruit
frais par semaine.
« On essaye de mettre de plus en plus de
produits frais, soulignent aussi les cuisiniers de Malacarnet. Des
crudités mais aussi des légumes péyi. Si on utilise des produits
importés, c'est qu'on n'arrive pas à avoir assez de fruits ou
légumes locaux frais (la Ville se fournit actuellement auprès d'une
coopérative hmong, une société de Mana et une autre des Caraïbes,
NDLR). Le poisson, lui, est toujours pêché ici. »
Les raviolis, le cassoulet, le
steack-hâché frites ou le poisson frit n'ont pas besoin de
publicité. Mais la ruse est parfois nécessaire pour faire avaler
les plats plus équilibrés, comme des mélanges riz-citrouille,
riz-épinards, ou pâtes-légumes.
En 2014, le programme « un fruit à la
récré » a aussi été mis en place auprès des 11 000 enfants
scolarisés à Cayenne. Tous les mercredis, à défaut de cantine, ils
reçoivent un fruit qu'ils apprennent ainsi à connaître... et
souvent à aimer.