Jocelyne Beroard : « Loin de l’Amer » ou l’ouvrage d’une vie

Jocelyne Beroard : « Loin de l’Amer » ou l’ouvrage d’une vie

Par Marie-Line Ampigny

C'est ce jeudi 17 mars que le livre-événement de Jocelyne Beroard sera disponible en librairie. Un ouvrage autobiographique qui raconte Kassav' de l'intérieur.

Jocelyne s'amuse avec les enfants sur le tournage du clip "Sa pa ayen" © © Jocelyne Berouard

Jocelyne lors du concert au Zénith de Paris 2013. © Photo Migail Montlouis-Félicité

Carte Postale du groupe en 1992. © Photo Michel Bocandé

Soundcheck à Curaçao © © Jocelyne Berouard

2016. Georges, Jocelyn et Jacob en balances à Basse-Terre © © Jocelyne Berouard

France Antilles Magazine,11-12-13 Mars © DR

France Antilles Magazine,18-19-20 Mars © DR

France Antilles, partenaire de la promotion du livre © DR

Les raisons d’acheter et de lire ce livre sont nombreuses, entend-on çà et là. Celle qui l’a écrit s’est affirmée depuis des années, ou plutôt le public l’a désignée comme une des plus grandes figures de notre scène musicale, de par sa voix unique, ses textes ciselés, ses talents de comédienne qui colorent émotionnellement chacun de ses titres.
Parce que le groupe Kassav’ nous manque, et que Jocelyne Béroard va sans nul doute, le faire revivre à travers ses pages. Et, de surcroît, comme jamais cela n’a été fait : de l’intérieur, pendant 40 ans en studio, en coulisses, en scènes, en tournées mondiales.
Ces raisons évoquées se valent toutes. D’ailleurs tout ce qui nous pousse à lire, est à prendre, en ces temps de morosité culturelle. Mais il y a aussi que Jocelyne Béroard, cette parolière qui sait si bien trouver les mots justes quand il s’agit de nous faire rire, pleurer, sourire, danser, penser, a mis aujourd’hui, sa plume sensible au service de son premier ouvrage. Délectation ! Et puis, ajoutons encore, qu‘après 40 ans passés avec la première formation musicale de France, dans tout ce que Kassav’ a créé, traversé, conçu, glané çà et là, Jocelyne Béroard était là, quasiment dès les premières heures. Il va donc sans dire que cette galette de manioc tant aimée nous sera racontée par un témoin majeur, avec la franchise et la générosité qui caractérisent l’auteure.
Carte Postale du groupe en 1992. • Photo Michel Bocandé


Et voilà Kassav’ dans son histoire originelle (de sa genèse à nos jours), dans ses recherches, ses tribulations, dans son concept harmonique, puis dans ses transformations, dans ses premiers coups d’essai populaires pas toujours réussis, dans ses équipes musicales changeantes jusqu’à la structuration finale, avec salles combles, stades bondés, victoires, honneurs, médailles et trophées. Jocelyne Béroard nous offrira son regard sur chacun des membres de sa 2e famille, sans oublier de nous ouvrir les portes des tractations, des managements divers, des changements de productions, et ce sans langue de bois, sans fiel aucun…. Mais comme pour nous dire, qu’on ne devient pas l’emblématique et international Kassav ‘sans avoir reçu quelques coups, sans avoir connu les hauts et les bas, pour un jour (sans s’asseoir pour autant sur ses lauriers), goûter enfin aux saveurs de la qualité rythmique, chorégraphique et des succès quasi planétaires..
Mais avant de partir avec Kassav’ dans ses périples, dans ses voyages fabuleux, dans sa progressive montée en puissance, qui était Jocelyne Béroard ?

La Martinique à travers les yeux d’une petite fille
Jocelyne Béroard naît à Fort-de France, à la fin des années 50. Sur son éducation, sur sa fratrie, sur ses parents, ses grand parents, sur ses études (de la primaire jusqu’à la Fac en France), tout nous sera dit. Et c’est alors que nous découvrons une jeune fille timide, mais déterminée, respectueuse de tous, mais rebelle aux interdits qui limitent et cloisonnent. Si dans sa maison, la négritude de Césaire est un socle qui fait éclore, dignité, fierté de soi, Jocelyne Béroard incontestablement a aussi, ce qui fait l’originalité de l’autre frère de la Négritude. Elle a du Léon Gontran-Damas en elle, notamment l’insolence des convenances étriquées et des dogmes établis. Mais très vite, nous apparait alors, une jeune fille aimante envers les siens, rieuse et curieuse (soucieuse) de mieux connaître son identité. Son environnement familial est baigné de musique (maman au piano, papa qui gratte la guitare). Jocelyne, comme deux de ses sœurs, va s’adonner à la natation et à la compétition, avec d’excellents résultats. Elle brille dans sa scolarité aussi bien que dans son approche des autres, camarade généreuse, loyale et solaire.
Jocelyne lors du concert au Zénith de Paris 2013. • Photo Migail Montlouis-Félicité


À travers son histoire, c’est toute une fresque (socio-politique) de la Martinique (des années 50 à 80), qui s’offre à nous. Et ce avec émotions. Dans l’île, se mêlent et se côtoient plaisirs festifs, une jeunesse en agitation, en quêtes identitaires, des combats ouvriers, des désirs d’émancipation et d’avancées, le respect des valeurs (respect de soi et des autres…) mais aussi les stigmates des aliénations (dont l’occultation ou la négation de l’esclavage). Quelles sont les musiques qui bercent son quotidien et celui de ses compatriotes ? Le registre est bien plus large qu’on ne le croit, malgré une unique radio d’Etat en situation de monopole. Jocelyne Béroard va se nourrir du répertoire classique européen, des variétés « yéyés », de la vague dite des chanteurs à textes (Barbara, Brel…), de ce qui se joue dans la Caraïbe, aux USA, et des mélodies de chez elle (biguines, mazurkas…). Jocelyne Béroard écoute tout cela, entre ses deux occupations-passions, la photographie et la couture. Elle y excelle. Après le couvent St Joseph de Cluny où la jeune fille s’étiole et se sent mal à l’aise, la voilà sur les bancs de l’école publique jusqu’au lycée, où l’apprentissage se fait sans ombrages, et où les amitiés se consolident. « À vie », pourrait-on dire.

Loin de l’Amer… Tume…
Les anecdotes se savourent quand la romancière nous relate ses cours d’anglais, avec sa mère si douce à la maison, mais professeur intransigeante au lycée de Bellevue. Les souvenirs égrenés sont des arcs-en-ciel émotionnels. Il y a pêle-mêle, les vacances (en grand nombre) turbulentes chez les grands parents, les soirées, les premiers émois, l’éveil profond suscité par les Black Panthers (attitudes, revendications, et la mode qui va avec…) le chagrin qui suit le décès d’Emilie (celle qui s’occupe deux fois par semaine du linge de la famille, soit 8 personnes, 6 enfants et deux adultes), et sa tristesse immense de la voir enterrée dans un caveau… Son enfance et son adolescence, sont des chapitres pleins d’enseignement (illustrant parfois la vie de bon nombre d’enfants du pays à cette époque).
2016. Georges, Jocelyn et Jacob en balances à Basse-Terre • © Jocelyne Berouard

Moments truculents ! Captivants ! Emouvants ! Drôles ! Succulents ! Surprenants, bouleversants, hilarants ! C’est tout cela à la fois, jusqu’au départ vers la France (Caën) pour suivre des études de pharmacienne, puis aux Beaux-Arts. Un départ vécu par Jocelyne, comme un arrachement douloureux, car la voilà loin de ceux qu’elle aime… Une plaie qui va lentement se cicatriser grâce aux étudiants antillais rencontrés. S’ensuivent à la fois, des jours studieux à l’amphi, de joie au campus, l’engagement militant, des ouvertures à d’autres mondes (notamment l’Afrique ancestrale), le fait de se savoir singulier et universel, les sorties rocambolesques sur Paris (ville phare et centre de toutes les occupations), les activités artistiques (pour garder le pays en soi et le partager), les bals. Et puis à Paris, il y a Michel, le grand frère, musicien depuis toujours, bien implanté dans le milieu musical en vogue. C’est lui, le pianiste déjà aguerri qui va ouvrir les portes des studios d’enregistrement à sa petite sœur Jocelyne.
Il n’y aura pas de styliste, ni de plasticienne, ni de pharmacienne du nom de Jocelyne Béroard. Place donc à la musicienne. Elle nous gratifiera plus tard d’un médicament efficace et aux mille vertus, le zouk. Mais ne brûlons pas les étapes. Pour l’heure, elle fera d’innombrables (et prestigieuses) rencontres qui l’emmèneront dans des univers sonores extrêmement variés. Puis vint un jour, le casting d’un nouveau groupe qui éclot, Kassav’.

Comment se fera la rencontre Kassav’/Jocelyne Béroard
Surprises, il y aura une fin de non-recevoir avant qu’un soir, les compliments de Jacob pleuvent après un récital où Jocelyne donne la mesure de son talent. C’est alors qu’une invitation du groupe lui parvient pour une autre « revoyure ». Comment la choriste (certes expérimentée) va t’elle devenir l’un des cœurs ardents de ce groupe flamboyant ? Comment la choriste deviendra t’elle leur chanteuse lead incontestée, un des piliers de la bâtisse Kassav’ ? Comment a-t-elle vécu ses 40 ans passés au sein du groupe ? Comment s’est déroulée son intégration en tant que seule femme musicienne de la formation ? Et ses rapports avec chacun des membres, quels sont-ils ? Fraternels, assurément et profondément !
La mémoire intacte, trempée à la fois dans la rigueur (qui sied aux passages d’Histoire) et dans la profonde affection qui la lie à Kassav’, Jocelyne se souvient… De tout… Aucun nom ne manque, aucun évènement non plus. Les exigences des créateurs notamment celles de Pierre-Edouard Décimus et Jacob.F Desvarieux. Leur volonté de faire autre chose et d’aller à chaque fois, sans cesse vers le Mieux. La force des chorégraphies dans les shows kassaviens. Les premiers essais. Les premières sorties publiques. Les premiers couacs. Les rouages de le la production, puis de la commercialisation et de la communication. Et dans tout cela, pour elle, naît l’envie féroce de rester au sein de ce groupe qu’elle juge unique, novateur, plein d’individualités exceptionnelles et qui savent faire corps. Jocelyne le sent confusément, puis avec une évidence, Kassav’ est sa plus belle histoire d’amour musicale. Et elle entend vivre cette aventure-là, jusqu’au bout, avec professionnalisme et passion.
Soundcheck à Curaçao • © Jocelyne Berouard


Comment la choriste devient parolière, faiseuse de tubes ? Comment s’empare-t-elle de la scène et capture le public au même titre que ses deux complices qui l’entourent (Patrick et Pipo).. Pour elle, on peut dire que son jeu dans la machine Kassav’ ajouté à ses aérations en solo, puis ses rôles au cinéma et au théâtre vont parfaire cette présence magnétique et cette façon de vivre et d’incarner ce qu’elle chante. Les joies et les chagrins ne manqueront pas, ils la nourrissent et la fortifient…
Dans Kassav’, il y aura aussi les deuils, les départs vers d’autres routes mélodiques pour certains, le retour de Georges, l’adhésion populaire grandissant chez eux (Martinique/Guadeloupe), l’Afrique qui s’enflamme, l’Océan Indien qui s’embrase, l’Asie qui rugit de plaisir… Kassav’, après avoir résisté aux turbulences, l’unificateur de la Guadeloupe et de la Martinique, va s’imposer durablement dans les hits, sur les scènes, dans les médias, sur les plateaux TV, et surtout auprès d’un public… Et ce avec son créole flamboyant, une culture ancrée dans son terroir, tout en étant ouverte au monde.
Loin de l’Amer, plus de 200 pages de souvenirs agrémentés de quelques photos, où la vie et la musique se marient en une même partition, pour charrier en nous, les amours, les désamours, les écueils, la joie de vivre, l’intégrité, le peps, l’humour, les triomphes, les fêlures, le goût du travail… Et toujours sur une voie noble, celle qui représente un pays vaillant, fier, debout, digne…
Si nous avons d’un même élan, édifié Kassav’ en monument, force (et plaisir) de dire que Jocelyne Béroard en est un de ses fondements.
Loin de l’Amer, à lire absolument, pour zouker autrement.
√ Jocelyne Beroard, « Loin de l'Amer », aux éditions du Cherche Midi
France Antilles, partenaire de la promotion du livre • DR


 
Son interview à lire dans le prochain France-Antilles Magazine
Après la critique de son livre réalisée par Marie-Line Ampigny et parue ce week-end dans France-Antilles Magazine (11-12-13 mars), la chanteuse se livre dans le prochain France-Antilles Magazine (18-19 et 20 mars).
France Antilles Magazine,11-12-13 Mars • DR

France Antilles Magazine,18-19-20 Mars • DR
 



Suivez l'info en temps réel
sur l'appli France-Antilles !

Télécharger