ACTUALITé - VIE LOCALE
À Matoury, « levés » pour garder leurs terres
France-Guyane 09.04.2018
Marie GUITTONUne soixantaine d'habitants du chemin de La Levée s'est regroupée samedi chez Gérard Joseph (MG)
Après l'expulsion d'un nonagénaire le 26 mars, l'association du quartier de La Levée, à Matoury, va agir en justice. Des anciens ont été installés là il y a un demi-siècle, pour cultiver les terres, mais leur situation n'a jamais été régularisée et des titres de propriété concurrents les menacent aujourd'hui.
. Il y a deux semaines, à
Matoury, les autorités l'avaient jeté sans ménagement hors de sa
maison. Mais à 91 ans, Gérard Joseph est resté sur sa terrasse,
chemin de La Levée, prêt à se battre « jusqu'à la mort » (lire
ci-contre). Et samedi, une soixantaine de ses voisins, menacés du
même sort, s'est regroupée dans son jardin.
« Nous avons été installés ici à partir de
1965, dans le cadre d'un programme de peuplement mis en place par
la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt
(Daaf) et la mairie de Matoury » , rappelle Humerius Luap, au nom
de l'association de quartier « La Levée - Courbary » .
À cette époque, comme une dizaine d'années
plus tard à Cacao, la Guyane avait besoin de volontaires pour
assurer sa subsistance alimentaire. Une promesse de cession des
terres défrichées et cultivées aurait été faite, mais n'aurait
jamais abouti : « Aujourd'hui, trois générations sont installées
ici, environ 150 personnes, et on se retrouve traités comme des
squatteurs et expulsés. »
L'association de La Levée - Courbary a donc
embauché l'avocat Pierre-Edouard Gondran de Robert. « On vous a
marché sur les pieds » , a-t-il déclaré samedi aux riverains.
UNE ACTION EN FAUX
D'après son travail « d'archéologie
judiciaire » , mené avec un géomètre, les habitants seraient
devenus propriétaires « par la prescription de 30 ans » (sans
réclamation écrite). « Et sinon, ces terrains relèvent a priori du
domaine privé de l'Etat » , assure-t-il, tout en exhumant un accord
de 1991, signé par le préfet et la mairie, qui prévoyait de
régulariser la situation des occupants.
Reste à savoir, dans ce cas, comment des
actes de propriété ont pu être établis sur ces mêmes terrains, en
2005, par un acte de partage notarié, en faveur d'autres personnes
qui réclament aujourd'hui les expulsions. Une action en inscription
de faux, qui devrait être lancée avant la fin du mois, nourrit tous
les espoirs des anciens de La Levée.
Gérard Joseph, lui, dont la Cour de
cassation vient de décider que le dossier serait réétudié,
bénéficie d'un « délai de clémence » jusqu'à juillet pour
déménager.
ILS ONT DIT
Gérard Joseph, 91 ans, menacé d'expulsion «
Je me battrais jusqu'à la mort »

« J'ai donné le premier coup pour
déboiser en 1971. C'était la forêt, il n'y avait pas de route. J'ai
construit ma maison. Et aujourd'hui, je crois bien que je vais
rester ici, parce qu'à 91 ans, je n'ai pas d'autre endroit où
aller. Je veux habiter chez moi, dans cette maison familiale. Je ne
suis pas tellement triste aujourd'hui, parce que j'ai mes enfants
derrière moi, je ne suis pas tout seul. Je me battrais jusqu'à la
mort. »
Véronique Simon, 44 ans, expulsée en 2016 :
« Nous relancerons la procédure »

« Mon beau-père s'est installé ici
dans les années 1970. En 2016, je vivais sur son terrain avec ma
mère de 61 ans, quand ils sont venus démolir. On ne nous a pas
relogées. On a dormi quelques nuits dans des véhicules. Nous a été
déboutées au tribunal. Dès que l'usage de faux aura été reconnu,
nous relancerons la procédure. On a mis en valeur nos terrains, on
a planté, on aime ce quartier, la convivialité... »