Cornelia Birba, entre Tradition et Modernité

Cornelia Birba, entre Tradition et Modernité

Propos recueillis par Marlène CLEOMA

On ne les présente plus dans le monde artistique, après 41 ans d'existence, Cornelia Birba et le groupe traditionnel «Balourou» sont de retour avec l'album éponyme composé de 15 titres. Un disque qui mélange tradition et modernité, coordonné par Birba Rodricka, la petite fille de Cornelia Birba et chanteuse de l'association. L'icône de la musique traditionnelle guyanaise est venue présenter «Balourou». Elle a pris le temps de nous parler de la musique traditionnelle guyanaise, et de son envie d'ici et d'ailleurs... En toute simplicité, celle que l'on surnomme «Cono» répond toujours avec le sourire, n'esquive aucune question.

«Balourou» après 41 ans d'existence, c'est long pourquoi avoir attendu si longtemps pour enregistrer un album ? 
Effectivement, nous avons fêté les 41 ans du groupe le 14 février dernier (14/02/1977-14/02/2018). L'idée de faire un album est venue de ma petite-fille, Birba Rodricka, elle voulait qu'on laisse "une trace" de notre passage et je me suis dit pourquoi pas. Et elle n'a pas eu tort, puisque les gens apprécient. (Le titre "cono rivé" de l'album balourou est classé numéro 1 dans les ventes chez Sun Studio pour le mois de juin, Ndlr)
14 février, c'était un hasard...
Non, j'ai choisi le jour de la Saint-Valentin, parce que je suis une amoureuse du folklore, j'aime les enfants. C'est une date que je ne voulais pas oublier, je sais qu'à chaque Saint-Valentin, c'est la date d'anniversaire du groupe.
Vous avez choisi le nom du groupe pour l'album, que signifie «Balourou»?
Appelé scientifiquement le bec du perroquet, c'est une plante sauvage que l'on trouve au bord de la route et qui pousse généralement en janvier, février voire août. L'idée de monter un groupe traditionnel vient de mon fils qui avait 10 ans à l'époque, car il n’y avait aucun groupe pour les enfants. Pour faire plaisir à mon fils, j'ai décidé de créer ce groupe, je l'ai appelé «Balourou» car je voulais un nom qui rappelle la Guyane, et le balourou pousse en quantité chez nous.
Actuellement mon fils joue du tambour, il chante, il danse…. Après tout, il voulait un groupe, il fallait bien qu'il fasse quelque chose (rire).
41 ans c'est l'âge adulte, c'est la maturité, est-ce que «Balourou» raconte une histoire particulière...
Oui en effet ! Sur cet album, il y a le début et le souvenir de «Balourou». Dans chacun des titres ou presque j'ai voulu rendre hommage à ces aïeules qui m'ont appris à chanter, à mes débuts, en précisant leur nom.  C'est une façon pour moi de les remercier, c'est aussi grâce à elles si je suis là. 
Qu'avez-vous fait pendant tout ce temps ?!
Waw, il me faudrait trois jours pour en parler (rire). Avec le groupe Balourou, qui est un groupe d’enfants de 3 à 18 ans, nous avions été fréquemment sollicités pour des tournées culturelles à l’international. En ce temps-là, j'organisais aussi mon festival, qui se déroulait à chaque anniversaire du groupe (Festival culturel international). C’est nous qui invitions, il nous arrivait d'avoir dix-huit groupes invités, et nous commencions par un grand défilé allant du jardin botanique à la mairie de Cayenne. C’était beau !
En tant que marraine de l'association AGDOC (Association Guyanaise de dépistage Organisé des Cancers), je suis à l'initiative du concours de l'élégance pour les 50 ans et plus. Mais, malheureusement toutes ces manifestations ont pris fin, car il faut des financements. A un moment je ne peux plus tout prendre en charge par moi-même sans aide. J'ai aussi mis en place les jeux traditionnels, tels que le «Tik Tok», etc. Je vais m'arrêter ici, sinon votre papier sera trop long (rire).
Que trouve-t-on d'original sur cet album ? 
On y trouve les différents rythmes et danses traditionnels guyanais, du Kasé kò au Gragé en passant par le Lérol et des touches modernes. Sur le titre «cono rivé» ma petite-fille a voulu mettre sa touche personnelle, pour paraître plus moderne et je peux vous dire que ça envoie du lourd. Sur l'un des morceaux, un tanbouyen du groupe a voulu mettre une petite touche à lui, il a commencé avec le Kasé kò et termine avec un air de la samba, du « Kasé kò brésilien ».  J'ai laissé les jeunes s'exprimer. Il est vrai que je suis très à cheval sur la tradition, parce que la tradition c'est la tradition on n'y touche pas. Mais je reste ouverte aux propositions. 
«On n’y touche pas à la tradition» expliquez-nous...
Je peux être flexible, mais la tradition reste la tradition, si on modernise trop, ce n'est plus de la musique traditionnelle guyanaise, mais inspiré de....  L'un des chanteurs, qui intervient avec moi sur le titre «cono rivé», a ajouté de la guitare à mon insu, je n'aime pas trop ça, car pour moi la guitare n'a rien à faire dans ce genre musical. Il a voulu s'exprimer avec cet instrument car il aimait, mais ce n'est pas de la tradition. Lorsque je vais présenter «cono rivé» avec la guitare, la samba brésilienne, etc., je vais plutôt dire " inspiration traditionnelle". J'admets que l'on modernise la tradition, mais je n'admets pas que l'on appelle ça de la tradition, pour moi on s'est inspiré. La modernisation de la tradition n'est plus la tradition. 

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Que signifie «Cono» qui est devenue si célèbre?
Tout simplement, de "Cornelia”, trouvé par mon fiancé, devenu mon mari. Il trouvait mon prénom trop long. Et il ne voulait pas m'appeler «Yaya» comme ma mère, car pour lui, ça faisait ti poisson (rire), du coup il a trouvé un dérivé «Cono». Lui seul m'appelait comme ça. Maintenant «Cono» est devenue une vedette. Je pense que si les morts avaient le pouvoir de voir ce qui se passe sur terre, mon mari serait fier.... 
Et vous n’avez pas refait votre vie depuis....
Non, pourtant j'aurais pu me marier dix fois, mais je ne voulais pas avoir d'autres enfants avec un nom de famille différent. D'ailleurs, tous mes petits-enfants, arrière-petits-enfants garçons porte «Birba». Comme ça, le nom perdure. 
Êtes- vous fière d'avoir ouvert la voie à de nombreux jeunes, à l'heure où la musique traditionnelle est perçue comme «vieillotte»? 
 Oui c'est une fierté. Effectivement autrefois, c'était pour les «vieux».  Sans me vanter, j'ai réinventé, donné de la couleur, de la chaleur à la tradition. J'ai aussi osé à l'époque, le tambour ne passait pas à la radio, je devais demander l'autorisation au responsable de Guyane La 1ère radio, autrefois RFO. J'avais cette chance de travailler comme animatrice pour eux, et je demandais au responsable Jean-Pierre Karam, de passer un petit bout à chaque fois et maintenant le Kasé kò est plus que présent. On termine rarement une soirée chez nous sans danser le Kaséko. 
On dit que les tanbouyen ont une passion pour le rhum. Vous confirmez ?
Il y a quelque temps de cela, pour éviter d'avoir mal à la main, chaque soir avant une prestation, les joueurs utilisaient le rhum pour se frotter la main. La forte odeur du rhum restait dans la salle, ça ne faisait pas d'eux des «tafiateurs». Cependant, ils en profitaient pour boire un coup.... Aujourd'hui la nouvelle s'est répandue : la jeune génération pense qu'il faut absolument de l'alcool, du rhum pour s'amuser tandis que l'on peut tout à fait s'amuser sans se saouler.
Le fils, la petite-fille, l'arrière-petit-fils…. La musique à l'air d’être très présente chez vous… 
J'ai trois enfants, et chez nous tout le monde chante, joue du tambour, danse. La musique est une histoire de famille. 
Avez-vous prévu une tournée, un concert pour les vacances ou à la rentrée ? 
Actuellement non. Il fut un temps où j'en faisais énormément, mais ça demande beaucoup d'investissement, et de fonds, surtout de fonds. Mais nous nous produisons lors des fêtes communales, entre autres.... Disons que je suis le consommateur qui va faire son marché, et il va forcément prendre quelque chose qu’il n’avait pas prévu. Mais actuellement ce sont les vacances, il faut en profiter.
Vous emmenez où vos valises pour ces vacances ?
Je pars en vacances en Thaïlande. Mo ke alé palé chinwa (rire), me reposer un peu, manger des insectes, il paraît qu'ils en mangent là-bas et c'est aussi bon pour la santé (rire).
Quel est votre coup de coeur du moment : musique, film, artiste, autres?
Un spectacle de danse de l'ADACLAM «Quand l'horizon est signe d'espoir» que j'ai eu l'honneur de voir, c'était un très beau spectacle. Il y a aussi la coupe du monde en ce moment, je suis de tout coeur avec l'équipe de France, j'espère qu'ils gagneront la finale. (en attente du match des quarts de finale France-Uruguay ce jour-là, Ndlr)
Votre coup de gueule du moment.
Je suis triste de voir à quel point les responsables, quels qu'ils soient, découragent les personnes de la culture qui veulent faire des choses. J'aurais aimé qu'ils nous accompagnent financièrement parce que ce n'est pas évident. Lorsque l'on se présente devant eux avec un projet, soit, ils n'ont pas de fonds, sinon, ils nous donnent la moitié. Lorsque je demande 1 000 € on me donne 500 €, où je trouve les autres 500 ?  Quand je vais quitter cette terre, ils voudront me rendre hommage, c'est maintenant que je veux qu'ils me rendent hommage en m'accompagnant dans les projets culturels que je veux mettre ou remettre sur pied. 

 «si zot pale Lagwiyann tonbé, a pou zot fè briga ke zot ko, pou metey dibout»
Qu'est-ce que vous avez envie de réaliser personnellement ? 
Créer une maison de culture comme à l'époque à la cité Mirza.
Si vous aviez un message à faire passer à la jeunesse quel serait-il?
Qu’ils soient fiers de leur personne, c'est ce que j'ai envie de dire à une partie de cette jeunesse qui se laisse aller. Je ne veux pas voir des jeunes qui se bourrent la gueule, des filles à moitié dénudées, des jeunes hommes avec les fesses dehors où l'ont peut apercevoir leurs slips délavés. Donc, les garçons, je pense qu'il est temps de changer de mode. Vous ne croyez pas ? Et les filles pensez à votre respect. 
 J'ai envie de voir des jeunes guyanais qui ont confiance en eux. Quand je dis guyanais, c'est peu importe la nationalité dès qu'ils vivent sur le territoire ils sont guyanais. 
Donc, mo ti moun ye fille kou garçon, si zot pale la Guyane tombé, si zot palé reté a sou koté, a pou zot fè briga ke zot ko, pou metey dibout. Souple, souple se ti moun yan. 
Un petit mot sur la venue de Jérôme Cahuzac en Guyane en tant que médecin généraliste dans la commune de Camopi...
(Surprise), Vous venez de m'apprendre la nouvelle ! Une seule question que je me pose, c'est : pourquoi Camopi?



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