Une rue quasi déserte. Trois enfants qui chahutent gentiment sur un vélo, deux jeunes filles qui promènent un bébé dans une poussette... et puis le calme. Voilà à quoi ressemble un surlendemain de Noël à Zéphir. Hier après-midi vers 16 heures, la cité de Cayenne était plongée dans une torpeur digne des jours de Carême. Difficile d'imaginer qu'au même endroit, il y a un peu plus d'un mois, trois policiers étaient pris pour cible par un groupe de jeunes (lire notre édition du 18 novembre). « Ce n'est pas un ghetto ici, pose d'entrée Stéphane Lucien. C'est vrai qu'avant, Zéphir était réputé pour être un quartier chaud, mais c'est fini tout ça. »
Laxisme des parents
Pour ce jeune de 27 ans qui a grandi ici, cette agression a terni l'image de son quartier qui ne « méritait pas ça » . « J'ai entendu beaucoup de choses, dit-il. Mais il ne faut pas croire qu'il n'y a que des voyous, ici. Ce n'est pas vrai. » Il reconnaît que « les jeunes étaient un peu chauds » , ce mardi 16 novembre, lorsque les policiers ont reçu des coups. Et de poursuivre : « L'un d'eux s'est énervé. Il y avait un peu de provocation, mais un policier doit garder son sang-froid, remarque-t-il. Après, c'est sûr qu'on ne tape pas sur les forces de l'ordre. »
Comme le notait à l'époque le commandant Jean Maussan, chef de la sûreté urbaine, « ce genre de prises à partie est extrêmement rare en Guyane » . Stéphane Lucien confirme : « On n'avait jamais vu ça. C'est vrai que c'est plus fréquent en France. D'ailleurs, tout est parti à cause d'un gars qui revenait de métropole et qui a chauffé les autres » , éclaire-t-il. Avec un peu de recul, Stéphane tente d'apporter son explication : « Aujourd'hui, les jeunes de 10-12 ans sont dehors jusqu'à minuit. » Il évoque ainsi le « laxisme de certains parents » . « À mon époque, on était beaucoup plus surveillé, nos parents étaient plus durs. Je pense que si j'avais un petit frère, je ne le laisserais pas sortir comme ça. »
Maison de quartier
Mais pour Stéphane, « le plus gros problème de Zéphir, c'est qu'il n'y a pas de maison de quartier » . Alors, à part « traîner devant le chinois à boire et fumer » , la jeunesse n'a pas grand-chose à faire pour occuper ses journées. Et ça se saurait si l'alcool adoucissait les moeurs : « Quand les jeunes picolent, ils font n'importe quoi » , résume-t-il.
Il y a quelques années encore, un petit local existait pour accueillir la jeunesse du quartier. « C'était pas le top, mais au moins on avait quelque chose. On y a même organisé un mariage » , raconte Stéphane, un peu dépité. Car « la Siguy nous le promet depuis longtemps mais on n'a rien vu » . L'ancien local en question est devenu un parking. « C'est primordial cette maison de quartier, s'enflamme le porte-parole de la jeunesse de Zéphir. Toutes les cités devraient en avoir une. »
La photo avec les policiers
En attendant, Stéphane et ses copains de l'association Ruban noir ne s'ennuient pas. « Vu que le quartier est un peu pauvre en associations les jeunes sont venus nous voir à la suite de la bagarre avec les policiers. » Pour la petite histoire, Ruban noir a été créé en mars dernier. « C'est notre président Jean-Bermann Saint-Victor qui a eu un rêve prémonitoire, et qui est devenu une réalité. Mais à la base, on voulait juste donner des cours de tambour et monter une équipe de futsal. » Pour l'instant, « on est leader du championnat R2 » , précise fièrement Stéphane. « Après les événements, les gens du quartier ont fait appel à nous, et les politiques ont joué le jeu, alors qu'avant, personne n'avait foi en nous. » Du coup, une grande journée d'animation a été organisée il y a dix jours. Tournoi de foot, jeux pour les enfants, concours de dominos, visite des élus, et notamment du maire de Cayenne, gâteaux préparés par les mamans... « On a même eu des sponsors. » Et, point d'orgue de cette grande fête de quartier : « Les grands patrons de la police sont venus nous voir, tranquillement, pour discuter. On n'aurait jamais vu ça, il y a des années. On a même pris des photos avec eux. » Stéphane semble avoir encore un peu de mal à y croire. « Cette histoire d'agression a eu un effet ressort, analyse-t-il aujourd'hui. D'autant que dans la foulée, la mairie nous a enfin mis les lumières au terrain de foot qu'on réclamait depuis l'époque de Lafontaine (l'ancien maire de Cayenne, ndlr). »
Soutien scolaire
Les six membres du bureau de l'association sont désormais très sollicités. « Notre mission n'a jamais été de faire de l'animation, mais maintenant, on veut montrer qu'on peut faire des choses bien dans cette cité. » Comme du soutien scolaire pour « éviter que les jeunes traînent dehors » . « Pour les éducateurs, c'est bon, il ne nous manque qu'un local » , précise le vice-président de Ruban noir. Un match de foot est aussi prévu prochainement entre une équipe de la cité et une de la police. « On en a même qui veulent créer un groupe de supporters pour notre équipe de futsal, glisse Stéphane. Mais on va voir, tempère-t-il, car on ne veut pas que ce soit un groupe de hooligans. »